
Contrainte… ou opportunité ?
Plus qu’une conférence, c’est davantage en proposant le débat que le confrère Jean-Pierre Durieux s’est adressé à la cinquantaine de praticiens présents, à titre de représentant belge du projet européen Anicare ( voir ce lien ou cet autre lien) initié en 2017 et destiné entre autres aux jeunes (et moins jeunes) éleveurs et vétérinaires.
Mission réussie : cette rencontre fut un florilège riche et interpellant de questions, avis, propositions, … elle aura sans aucun doute ouvert et multiplié les portes de la réflexion sur le bien-être animal (BEA) et les pistes de son introduction et sa transmission auprès des éleveurs.
Car le sujet reste encore délicat et malmené entre extrêmes, allant de l’hypersensibilité à l’animal « machine ». Trop souvent associé par l’éleveur – voire le vétérinaire -, à une contrainte et un jugement, Anicare l’envisage lui sous l’angle de l’opportunité.
Et il proposera à termes au praticien (fin du projet en 2020) une approche pédagogique innovante et des outils (notamment des capsules vidéo très « parlantes » et source d’échanges) pour conseiller et former ses éleveurs, en s’appuyant toujours sur la notion de débat, pour qu’il en émerge un savoir éthique, critique et créatif, tant individuel que collectif. A suivre donc !
Autre projet français, ACCEPT apporte des connaissances scientifiques nouvelles sur ce qu’on nomme les ‘controverses’ de société. Il en a produit une cartographie des points de vue sur l’élevage français (ci-après) en s’appuyant sur des entretiens et des études de cas locaux de projets d’élevage, avec une ouverture européenne. Des méthodes sont en conception pour aider les professionnels et renouveler la communication vers la société, car in fine, c’est le citoyen qui décide … et qu’il faut rallier à la cause !

Le citoyen sous ses 5 profils…
Ils correspondent à cinq points de vue décryptés sur l’élevage. Vous y retrouvez-vous…?
- Progressiste : l’élevage doit clairement être amélioré… mais comment s’y prendre ? 51 %.
- Alternatif : non à l’élevage industriel intensif ! 24 %.
- Compétiteur : tout va bien, surtout ne toucher à rien ! 10 %.
- Sans avis: 3 %.
- Abolitioniste: élevage = torture animale. 2 %.
… et le futur en 2040 sous 5 scénarios
- Sauve qui peut général… Les glaciers fondent et avec eux le souci du BEA. Le profil du consommateur « sans avis » domine, les alternatifs intensifient la permaculture…
- Pas de crise, ni climatique, ni économique, ni alimentaire. Le profil ‘indifférent’ est majoritaire et les ‘compétiteurs’ ont la voie libre.
- Tous végan ! La production de viande devient marginale, la propriété de l’animal est réglementée, les ‘abolitionistes’ ont le pouvoir.
- Le citoyen aspire à consommer moins et mieux, pour des raisons environnementales, éthiques, sanitaires. Place aux ‘alternatifs’.
- Eleveurs et consommateurs dialoguent. Diminution de l’érosion des élevages, socialement acceptés. Les ‘progressistes’ et les ‘compétiteurs’ s’y retrouvent.
Quoi qu’il advienne, la tendance de fond actuelle est le renforcement des préoccupations à l’égard de l’élevage et des pratiques de consommation. Chaque scénario interpelle la profession du vétérinaire rural : s’adapter, se réorienter, … ou disparaître pour cause de véganisme « intensif ».
Passer à l’action
Evaluer le BEA en ferme, c’est recourir à des outils scientifiques d’évaluation (« Ce qui n’est pas mesuré ne peut être amélioré »), identifier les facteurs de risque et proposer des corrections. Depuis 15 ans, le projet Welfare Quality propose des protocoles d’évaluation, sur base de 4 dimensions : comportement, alimentation, santé, logement (Les « 5 libertés » du BEA s’y retrouvent).
L’évaluation du BEA repose sur le socle des 5 libertés
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- Absence de maladie, lésions, douleurs
- Absence d’inconfort
- Absence de faim, soif, malnutrition
- Absence de peur, de détresse
- Possibilité d’exprimer des comportements normaux de l’espèce
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Jean-Pierre Durieux a terminé la description de ces méthodes d’évaluation, en évoquant aussi les outils d’un futur… très proche: révolution digitale, e. médecine, capteurs embarqués, … Il souligne : « Le vétérinaire ne sera pas remplacé par l’ordinateur… mais par un vétérinaire qui saura utiliser les outils numériques ! ».
Respect de la législation, conseiller, formateur, certificateur en BEA … Si notre profession veut prendre sa place, c’est maintenant.
Et c’est passionnant tant d’un point de vue sanitaire qu’éthologique et sociologique pour notre profession dont la motivation essentielle est de soigner et guérir.
Le débat continue… Pour l’enrichir, notre confrère invite les praticiens à s’inspirer d’autres sources* de savoir et de se poser des questions, peu ou jamais posées, sur la relation Homme – Animal.
Sylvie Lecomte
Quelques pistes de lecture
- « Par-delà nature et culture », Philippe DESCOLA
- « Anthropologie de la nature », Philippe DESCOLA
- « Douleurs animales. Les identifier, les comprendre, les limiter chez les animaux d’élevage», Synthèse de rapport d’expertise réalisée par l’INRA, 2009
- « L’éthique animale», Jean-Baptiste Jeangène VILMER
- «Eleveurs et animaux, réinventer le lien», Jocelyne PORCHER
- « Sommes-nous trop “bêtes” pour comprendre l’intelligence des animaux ? », Frans DE WAAL